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Vue de l’exposition « Arte Povera », Bourse de Commerce – Pinault Collection, Paris, 2024. © Tadao Ando Architect & Associates, Niney et Marca Architectes, agence Pierre-Antoine Gatier. Photo : Florent Michel / 11h45 / Pinault Collection.

Du 9 octobre 2024 au 20 janvier 2025, la Bourse de Commerce – Pinault Collection devient le théâtre d’une exposition monumentale consacrée à l’Arte Povera, orchestrée par la commissaire Carolyn Christov-Bakargiev. Plus de 250 œuvres, dont certaines issues de la prestigieuse Collection Pinault, sont exposées dans une scénographie pensée pour fusionner matière, énergie et espace, proposant ainsi une expérience immersive et poétique.

L’Arte Povera : un retour à l’essence de la création

Né en Italie à la fin des années 1960 sous l’impulsion du critique d’art Germano Celant, l’Arte Povera est à la fois un mouvement artistique et une réponse à l’industrialisation croissante et au consumérisme galopant de l’époque. Le terme « Arte Povera », ou « art pauvre », ne désigne pas la pauvreté matérielle, mais plutôt une volonté de se détacher des excès de la société de consommation et de retrouver une forme d’authenticité à travers des matériaux humbles et bruts. Les artistes du mouvement, tels que Giovanni Anselmo, Alighiero Boetti, Jannis Kounellis ou encore Mario Merz, ont fait usage de la nature, du métal, du feu, et même d’animaux vivants pour créer des œuvres qui transcendent les simples objets pour devenir des catalyseurs de réflexion.

Une scénographie immersive à la Bourse de Commerce

La commissaire Carolyn Christov-Bakargiev, figure majeure de la scène artistique contemporaine, a imaginé une exposition qui ne se contente pas d’accrocher des œuvres aux murs, mais qui dialogue activement avec l’architecture circulaire de la Bourse de Commerce. Dès l’entrée, le visiteur est plongé dans l’univers de l’Arte Povera avec Idee di Pietra de Giuseppe Penone, une imposante sculpture d’arbre et de pierre évoquant la fusion entre la nature et la pensée humaine. Juste au-dessus, la Fibonacci Sequence de Mario Merz orne les murs de la Rotonde, une série numérique qui symbolise la croissance infinie de l’univers, thème central de l’œuvre de Merz.

La Rotonde elle-même devient un espace de réflexion sur l’énergie créatrice, où des œuvres comme l’igloo de Merz, symbole de refuge et d’abri, dialoguent avec la fontaine fumante d’Alighiero Boetti (Autoritratto – Mi Fuma Il Cervello), une œuvre qui associe la matérialité de l’eau à l’énergie électrique, pour un rendu presque mystique.

L’énergie et la matière comme langages artistiques

Le parcours de l’exposition invite les visiteurs à se perdre dans un dialogue permanent entre les œuvres et l’espace qui les abrite. L’exposition ne présente pas les œuvres de l’Arte Povera comme de simples objets d’art, mais comme des entités vivantes, faites d’énergie et de matière, capables de transformer notre perception. Pier Paolo Calzolari, par exemple, dans son installation Senza titolo (Materassi), expose une série de matelas recouverts de tubes réfrigérants, jouant sur les contrastes entre la chaleur de la vie et la froideur des machines. Les matelas, couverts de givre, se transforment en objets vivants, réagissant aux variations d’énergie qui les traversent.

Dans la galerie dédiée à Jannis Kounellis, on retrouve le feu et le métal, deux des éléments emblématiques de son travail, à travers l’œuvre Kounellis écrit avec le feu (1969-2012). Kounellis, figure centrale du mouvement, utilise ici les forces naturelles dans leur forme brute pour créer une expérience intense et archaïque, résonnant avec l’idée d’un retour à l’essence même des matériaux.

Entre nature, archaïsme et politique

Au-delà de la matière, l’Arte Povera s’inscrit dans une réflexion plus large sur l’humanité et son rapport au monde. La question de la transformation de la matière, de l’énergie, mais aussi de la société, est omniprésente dans le parcours de l’exposition. L’Italie d’après-guerre, berceau du mouvement, est alors en pleine mutation, marquée par une industrialisation rapide et une modernisation qui heurte ses racines culturelles et rurales. Ce contexte nourrit une grande partie des œuvres présentées, où les artistes interrogent à la fois la place de l’homme dans un univers en constante évolution et les conséquences des progrès technologiques sur notre quotidien.

Giulio Paolini, par exemple, utilise la peinture pour interroger l’histoire de l’art elle-même, jouant sur des références classiques tout en déconstruisant la manière dont l’œuvre d’art est perçue. Son œuvre L’Invenzione di Ingres (1968) met en scène un dialogue avec les grands maîtres du passé tout en questionnant la place du spectateur face à l’absence de l’objet artistique.

Chez Giuseppe Penone, la nature est à la fois le sujet et le matériau de ses œuvres. Son travail se concentre sur les cycles de croissance et de transformation, comme dans son œuvre Alberi, où il sculpte des poutres en suivant les cernes du bois pour révéler l’arbre qu’elles étaient autrefois. Ici, l’artiste ne domine pas la nature, il en fait partie, engageant une réflexion sur la temporalité, l’énergie et la matière.

L’influence durable de l’Arte Povera

Si l’Arte Povera est historiquement lié à la fin des années 1960, son héritage résonne bien au-delà de cette période. L’exposition à la Bourse de Commerce explore cette continuité en mettant en dialogue les œuvres historiques avec celles d’artistes contemporains, tels que David Hammons, Pierre Huyghe ou encore Adrián Villar Rojas, dont les pratiques prolongent l’esprit du mouvement. Ces artistes, tout comme leurs prédécesseurs, interrogent la métamorphose de la matière, l’impact de l’énergie, ou encore la relation entre l’homme et la nature.

À une époque marquée par l’abstraction croissante et l’opacité technologique, le retour à des matériaux simples et l’engagement avec le réel apparaissent comme essentiels. Comme le souligne Carolyn Christov-Bakargiev, exposer l’Arte Povera aujourd’hui, c’est rappeler l’importance de la matière et de l’énergie dans un monde qui tend à se dématérialiser.

Une expérience au-delà des œuvres

L’exposition « Arte Povera » à la Bourse de Commerce est bien plus qu’une rétrospective ; c’est une invitation à réfléchir sur notre propre relation au monde. Les œuvres ne sont pas là pour être contemplées de loin, elles intègrent le spectateur dans un dialogue dynamique, où les matières vibrent, les énergies circulent, et les idées se transforment. Ce parcours sensoriel et intellectuel est une immersion totale dans un mouvement artistique qui, bien que né il y a plus de 50 ans, n’a rien perdu de sa pertinence et de sa capacité à interroger notre époque.

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