Elsa Sahal. These boots are made for walking, 2020. Céramique émaillée. 220 × 250 × 170 cm. Photo de David Bordes. Courtesy de l’artiste et de la galerie Papillon
L’univers d’Elsa Sahal, sculptée dans la terre et l’humour, est un terrain de jeu pour la subversion des normes sociales et des rôles de genre. À travers ses sculptures, l’artiste redéfinit la place des femmes dans l’art et dans la société, en réinventant des figures emblématiques souvent figées dans des stéréotypes. Dans son exposition L’alchimiste, Gilda, Suzanne et les autres au Musée des beaux-arts de Rennes, Sahal fait danser et bouger ses créations, les libérant ainsi des contraintes imposées par l’histoire de l’art.
Le grotesque comme outil d’émancipation
L’une des caractéristiques frappantes du travail d’Elsa Sahal réside dans son utilisation du grotesque, un terme qui évoque à la fois l’humour, l’exagération, et la distorsion de la réalité. Mais chez Sahal, ce n’est pas seulement une démarche esthétique : c’est un choix stratégique. Ses sculptures, souvent anthropomorphiques et empreintes de sensualité, ont un aspect délibérément décalé, voire grotesque, ce qui permet à l’artiste de jouer avec les limites de l’acceptable et de remettre en question les conventions. Loin de la rigueur académique, elle explore des formes biomorphiques qui flirtent avec le bizarre, tout en imposant une présence forte et revendiquée.
Ses figures féminines, comme Gilda et Suzanne, sont d’abord des potiches figées dans une posture passive. Mais grâce à des jambes soudainement acquises, elles se libèrent, se redressent et prennent vie. Cette métamorphose incarne l’émancipation des femmes, une émancipation qui ne se limite pas à un simple geste physique mais qui renverse des siècles de stéréotypes, de la fragilité à la puissance, de la passivité à l’action.
Le corps en mouvement : une révolution silencieuse
La marche et la danse sont omniprésentes dans l’œuvre de Sahal, et ce ne sont pas des gestes anodins. Ce sont des actes d’émancipation, des déclarations de liberté. Gilda, avec ses courbes généreuses et ses jambes désormais affirmées, ne se contente pas de poser, elle prend le contrôle de son espace. Le mouvement qu’elle insuffle à sa sculpture évoque une libération, une forme de joie retrouvée dans un monde où les corps féminins sont trop souvent figés dans des rôles traditionnels. D’autres figures, plus petites et plus malicieuses, font aussi preuve de cette même énergie dynamique : les homoncules phalliques, loin de l’image virile conventionnelle, se livrent à des actes anodins comme la randonnée, remettant ainsi en cause la virilité traditionnelle.
Ces personnages incarnent une version subversive de la beauté et de la puissance. Ils offrent à voir des corps qui échappent aux représentations classiques et idéalisées, pour se réinventer dans une forme de liberté et de mouvement.

Elsa Sahal. Dancing Twins, 2021. Céramique émaillée. 342 × 300 × 40 cm. Photo d’Hans-Georg Gaul pour Setareh. Courtesy de l’artiste et de la galerie Papillon

Elsa Sahal. Duo, 2018. Céramique émaillée. 76 × 68 × 47 cm. Photo de Fanny Lallart. Courtesy de l’artiste et de la galerie Papillon

Elsa Sahal. Gene, 2024. Céramique émaillée, verre. 120 × 42 × 24 cm. Photo de Grégory Copitet. Courtesy de l’artiste et de la galerie Papillon

Elsa Sahal. Nu randonnant n°1, 2007. Grès de la Manufacture nationale de Sèvres. 120 × 81 × 32 cm. Photo de Denis Amon Courtesy de l’artiste et de la galerie Papillon

Elsa Sahal. Paysage à l’enfant, 2007. Céramique (3 éléments). 86 × 70 × 70 cm. Photo de Denis Amon. Courtesy de l’artiste et de la galerie Papillon
La terre, le féminin et l’artisanat
La terre, un matériau souvent associé à l’artisanat, devient pour Elsa Sahal un moyen d’expression de la révolte. Dans un monde où la céramique est parfois perçue comme « inférieure » ou trop associée à l’utilitaire, l’artiste détourne ce médium pour créer des sculptures profondément artistiques et provocatrices. La terre devient alors un terrain d’expérimentation et d’affirmation.
L’artiste joue avec les textures, les couleurs et les formes pour déconstruire les stéréotypes liés à la féminité et au corps. Par exemple, dans ses œuvres comme Les potiches ont attrapé des jambes, les vases, qui sont traditionnellement associés au féminin, sont transformés en sculptures dynamiques, prêtes à prendre la route. Ce geste audacieux fait écho à une critique du regard patriarcal sur la féminité et la passivité historique des femmes dans l’art.
Subversion et humour : une mise en scène de l’émancipation
L’humour occupe une place centrale dans l’œuvre de Sahal. Le côté grotesque et parfois burlesque de ses personnages crée une distanciation, permettant à l’artiste de déconstruire sans culpabilité les représentations traditionnelles du corps et de la féminité. Le rire devient ici une arme : en jouant avec les formes, en exagérant les postures, en détournant des symboles classiques, l’artiste impose un nouveau regard sur des questions graves, mais sans lourdeur.
C’est le cas avec l’œuvre These boots are made for walking, où la virilité, traditionnellement associée à la grandeur et à l’accomplissement, est mise en crise par des phallus fragilisés par des bottes d’argile. L’artiste détourne une chanson populaire, transformant l’iconographie virile en une critique à la fois ironique et joyeuse du pouvoir masculin.
Conclusion : un monde en pleine transformation
Dans L’alchimiste, Gilda, Suzanne et les autres, Elsa Sahal réinvente l’art de la sculpture pour questionner les rapports de genre et d’identité. Par son humour, son regard critique et son audace formelle, elle nous invite à repenser les rôles sociaux assignés aux femmes, et à imaginer un monde où les corps, qu’ils soient masculins ou féminins, sont libres de s’émanciper de leurs carcans. Ses œuvres, loin de se contenter de la beauté traditionnelle, témoignent d’une transformation profonde de l’art, où le grotesque et la sensualité s’entrelacent pour créer une nouvelle forme de liberté.
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