Sélectionner une page

©Olivier Bac/Silentium

La scène se passe dans une église désacralisée à Toulouse, début novembre 2024. À l’entrée, les visiteurs sont déjà intrigués par l’odeur d’encens, les lumières tamisées et une musique solennelle. Mais ce n’est rien comparé à ce qui les attend plus loin : une sculpture en marbre représentant l’abbé Pierre, allongé, drapé d’un tissu blanc, et – surprise ! – arborant une érection. Cette œuvre, baptisée Silentium, est signée par l’artiste toulousain James Colomina, connu pour ses créations audacieuses qui questionnent les normes et les tabous.

Provocation ou révélation ?

Derrière cette représentation inhabituelle de l’abbé Pierre se cache un message assumé. Colomina, habitué à secouer les consciences, a expliqué que l’œuvre vise à dénoncer les abus sexuels au sein de l’Église, des scandales qui ont longtemps été passés sous silence. Dans Silentium, le choix d’une érection – un symbole si controversé dans un contexte religieux – incarne l’humanité parfois oubliée des figures religieuses, tout en pointant du doigt les secrets douloureux de l’institution.

Bien sûr, cette provocation artistique n’a pas laissé le public indifférent. D’un côté, certains se disent choqués par l’audace de Colomina, estimant que l’abbé Pierre, emblème de la charité et du respect, aurait mérité un hommage plus sobre. D’autres, en revanche, louent la force de l’œuvre : derrière cette mise en scène, ils voient une invitation à cesser le silence autour des abus, un appel à la vérité, aussi brutale soit-elle.

Une église, mais sans bénédiction

Le choix d’un lieu de culte n’était pas anodin. L’église du Gesù, désacralisée depuis des années, accueille des événements artistiques, offrant un cadre unique pour des œuvres qui jouent avec les symboles religieux. Colomina souhaitait créer un environnement qui pousse le spectateur à ressentir le poids de l’Église avant de se confronter à l’œuvre. Lumières et musique religieuses, encens flottant dans l’air… tout est pensé pour renforcer l’impact émotionnel de la sculpture.

Colomina : l’art comme arme de dénonciation

Colomina, habitué à travailler dans l’espace public, change ici de registre avec une œuvre en intérieur, en blanc, loin du rouge vif de ses habituelles sculptures de rue. L’artiste déclare qu’il voulait cette fois une atmosphère contemplative, presque silencieuse, qui laisse place à une réflexion intérieure. Dans ses propres mots, Silentium est une œuvre éphémère mais marquante, une confrontation sans filtre avec une réalité souvent tue.

Pour Colomina, cette provocation n’a rien de gratuit : elle est au service d’un message, d’un besoin d’ouvrir le débat, même si cela heurte certaines sensibilités. Son but ? Non pas de ridiculiser une figure de l’Église, mais de susciter des questionnements, quitte à déclencher un malaise chez le spectateur.

Art, scandale, et conscience sociale

Finalement, Silentium pourrait bien marquer un tournant dans l’art contemporain français, rappelant que l’art ne se limite pas à l’esthétique : il est aussi un vecteur de dénonciation, de vérité, et parfois de scandale. Entre ceux qui y voient un hommage décalé à l’humanité de l’abbé Pierre, et ceux qui dénoncent une insulte à sa mémoire, la sculpture de Colomina n’a pas fini de faire parler d’elle.

Si la polémique en dit long sur les tensions entre liberté artistique et respect des symboles religieux, elle rappelle aussi que l’art n’est jamais aussi puissant que lorsqu’il nous oblige à confronter des réalités dérangeantes.

À découvrir