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Henri Matisse « Marguerite lisant » – Collioure, été 1906 – Huile sur toile 64,5 x 80,3 cm – Musée de Grenoble  – Legs Agutte-Sembat, 1923 – Crédit : Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix

Il y a des muses silencieuses, des modèles anonymes, et puis il y a Marguerite, la fille d’Henri Matisse. Bien plus qu’une silhouette posée dans un tableau, elle fut son modèle le plus fidèle, son œil complice et même sa partenaire artistique. Et si l’exposition Matisse et Marguerite – Le regard d’un père, visible jusqu’au 24 août 2025 au Musée d’Art Moderne de Paris, raconte d’abord un amour filial, elle dresse aussi le portrait d’une femme libre, forte, et méconnue – une figure qui mérite de passer, pour une fois, devant le chevalet.

Une enfance entre pinceaux, maladie et ruban noir

Marguerite naît en 1894, d’une relation fugace entre le peintre encore étudiant et Caroline Joblaud, l’un de ses modèles. Dès l’enfance, la santé fragile de Marguerite lui impose une première trachéotomie – une intervention chirurgicale qui consiste à créer une ouverture dans la trachée pour permettre à l’air d’atteindre directement les poumons – et à arborer un fameux ruban noir, devenu sa signature dans les portraits de son père. Une question subsiste : l’école ? Très peu pour elle. Mais les ateliers ? En veux-tu, en voilà ! Marguerite devient une vraie « gosse d’atelier », absorbant les couleurs, les expérimentations, les doutes et les audaces de son père. C’est elle, la première à habiter durablement ses toiles, celle à qui Matisse confiera ses recherches les plus radicales : fauvisme explosif, simplifications géométriques, portraits dépouillés au trait…

Un modèle, oui, mais pas un modèle comme les autres

Dans les tableaux de Matisse, Marguerite n’est jamais seulement « là pour la beauté du geste ». Elle est là avec lui. Et parfois contre lui. Elle le pousse, elle résiste, elle s’affirme. D’abord enfant songeuse — comme on le voit dans Marguerite lisant — puis adolescente au regard frontal — Marguerite au chat noir, 1910 —, elle évolue avec lui, devenant au fil des années la complice de ses évolutions stylistiques. Matisse disait d’ailleurs vouloir atteindre « l’identification presque complète du peintre et de son modèle » : avec Marguerite, ce vœu semble exaucé.

La muse s’émancipe : peinture, mode et Résistance

Ce que l’exposition révèle aussi, c’est que Marguerite ne s’est jamais contentée de son rôle de modèle. Elle peint, et plutôt bien, expose, tente même une incursion dans la mode avec une collection de vêtements. Et pendant la Seconde Guerre mondiale, elle entre en Résistance, au péril de sa vie. Arrêtée, torturée, puis miraculeusement libérée avant sa déportation, elle revient auprès de son père, qui, bouleversé, lui consacre une dernière série de portraits aussi sobres que poignants.

Une relation fusionnelle, mais pas figée

L’exposition suit le fil chronologique de cette relation. On y voit Marguerite traverser les décennies, du fauvisme à l’expérimentation radicale, de l’enfance insouciante aux épreuves les plus dures. On comprend aussi à quel point elle fut essentielle dans la gestion de l’œuvre de Matisse : secrétaire, agente, gardienne vigilante de son héritage. Loin d’être l’ombre de son père, elle en fut la lumière discrète – celle qui éclaire, guide et veille.

Une expo à voir en famille… ou en solo avec un bon mouchoir

Le Musée d’Art Moderne de Paris ne se contente pas de présenter 110 œuvres majeures, dont certaines jamais montrées en France : il y ajoute des archives, des lettres, une biographie inédite, des vidéos, et même une expérience en réalité virtuelle autour de La Danse. Et si vous venez en famille, un espace ludique attend petits et grands pour créer, s’émouvoir, et peut-être même se (re)découvrir.

En rédigeant l’article, une pensée m’est venue

Peut-être que le vrai sujet ici, ce n’est pas seulement Matisse, ni même Marguerite, mais ce lien rare entre un parent et son enfant, quand l’amour, le respect et l’art se répondent comme un écho silencieux.

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